Enquête indépendante sur l'événement survenu à Sainte-Adèle le 28 mai 2024 : le DPCP ne portera pas d'accusation
QUÉBEC, le 6 mai 2025 /CNW/ - Après examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conclut que l'analyse de la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers de la Sûreté du Québec (SQ).
L'analyse portait sur l'événement survenu à Sainte-Adèle le 28 mai 2024 entourant les blessures subies par un homme.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI a été confié à une procureure aux poursuites criminelles et pénales (procureure). Cette dernière a procédé à un examen complet de la preuve afin d'évaluer si à la lumière de la preuve retenue, celle‑ci révèle la commission d'infractions criminelles. La procureure a rencontré et informé la personne blessée de la décision.
Évènement
Le 28 mai 2024, vers 1 h 20, une tentative d'interception pour un véhicule qui circule de manière erratique et sans plaque d'immatriculation est engagée par la Régie intermunicipale de police de Thérèse-De-Blainville (RIPTB), sur l'autoroute 640 direction est à la hauteur du boulevard de Galle à Lorraine.
À 1 h 25, le véhicule en infraction emprunte une sortie sur l'autoroute 640 direction est, pour reprendre la bretelle de l'autoroute 640 en direction ouest, suivie à ce moment par deux véhicules de patrouille du RITPB.
Au total, cinq véhicules de patrouille du RIPTB participent à la poursuite du véhicule en infraction. La poursuite est annulée à 1 h 28 par un sergent du RIPTB.
Une minute plus tard, une demande d'assistance est faite par le RIPTB à la SQ au moment où le véhicule en infraction emprunte l'autoroute 15 direction nord, suivi par les cinq véhicules de patrouille du RIPTB.
À 1 h 32, près de la sortie 23 de l'autoroute 15 direction nord, les agents du RIPTB tentent d'encercler le véhicule en infraction, mais la manœuvre s'avère inefficace et le véhicule poursuit sa route en accélérant.
À 1 h 41, le véhicule en infraction s'engage dans une zone de construction où se trouvent des travailleurs. À ce moment, une demande est faite sur les ondes pour reprendre la poursuite. Celle-ci est accordée et les agents allument les gyrophares et sirènes de leurs véhicules de patrouille.
À 1 h 44, la SQ effectue une prise en charge de la poursuite engagée contre le véhicule en infraction. Six véhicules de patrouille de la SQ prennent part à la poursuite. Le RIPTB demeure en support.
Trois hérissons à pointe creuse (HPC) sont installés par les agents de la SQ, le premier au kilomètre 42,5 et ensuite aux kilomètres58 et 60 de l'autoroute 15 direction nord. Le véhicule en infraction roule sur les trois HPC successivement, sans s'arrêter et continue sa route.
Au total, trois véhicules de patrouille de la SQ et deux du RIPTB doivent cesser leur implication dans la poursuite, en raison de crevaisons consécutives au fait d'avoir roulé sur les HPC.
Vers 1 h 52, près du kilomètre 62,5 de l'autoroute 15 direction nord, l'une des policières de la SQ, conductrice d'un véhicule de patrouille, tente une manœuvre afin de bloquer le véhicule en infraction. Lors de cette manœuvre, le véhicule de patrouille entre en collision avec l'arrière du véhicule en infraction à une vitesse inférieure à 100 km/h. Lors de la collision, un autre véhicule de patrouille dépasse celui en infraction et se positionne devant lui afin de prévenir une fuite.
Le véhicule en infraction ralentit et se retrouve presque immobilisé près du muret de béton d'un viaduc, se situant à quelques mètres du kilomètre 63 de l'autoroute 15 direction nord.
Dans les secondes qui suivent, le conducteur du véhicule en infraction, alors que celui-ci est toujours légèrement en mouvement, sort dudit véhicule, par le haut de la porte entrouverte pour se retrouver sur le capot avant. Il saute alors par-dessus la rambarde du viaduc et chute d'une hauteur de dix-huit mètres.
Les agents présents sur les lieux se dirigent rapidement vers l'homme pour lui porter assistance. Ils appellent également une ambulance.
Vers 2 h 46, l'homme est transporté en ambulance et arrive à 3 h 06 dans un centre hospitalier pour les blessures subies lors de la chute.
Tout au long de la poursuite, les vitesses maximales atteintes par les véhicules de patrouille se situent entre 170 et 194 km/h, à l'exception de la zone de construction où les vitesses maximales moyennes se situent entre 64 et 156,1 km/h. La limite de vitesse dans cette zone est de 90 km/h.
Analyse du DPCP
L'examen de la preuve soumise révèle que les blessures graves subies par l'homme ont été causées par un geste volontaire de sa part, soit d'avoir sauté du viaduc entrainant une chute d'une hauteur de dix-huit mètres. Ainsi, la conduite des policiers impliqués lors de l'intervention n'est aucunement contributive des blessures subies.
Néanmoins, puisque la preuve révèle que ces derniers ont circulé à haute vitesse pendant l'intervention, y compris dans une zone de construction avec des travailleurs, il y a lieu d'examiner si, dans les circonstances, cette conduite constitue une infraction de conduite dangereuse au sens de l'article 320.13 du Code criminel.
Cette infraction se définit comme le fait de conduire un véhicule à moteur d'une façon dangereuse pour le public, en tenant compte des circonstances, incluant l'utilisation qui en est faite, la nature et l'état du lieu ainsi que l'intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu. Le test applicable en matière de conduite dangereuse a été établi par la Cour suprême et prévoit que la preuve doit démontrer que la façon de conduire était objectivement dangereuse pour le public. À cet égard, c'est le risque de dommage ou de préjudice créé par la conduite qui doit être évalué, indépendamment des conséquences d'une collision ou d'un accident survenu à l'occasion de la conduite du véhicule.
La preuve doit également établir que la conduite objectivement dangereuse adoptée par le conducteur constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur raisonnable dans les mêmes circonstances, en l'occurrence, un policier. Le critère de l'écart marqué souligne le haut degré de négligence nécessaire pour engager la responsabilité criminelle. Ainsi, une imprudence, une simple négligence ou une erreur de jugement sont insuffisantes pour engager la responsabilité criminelle d'un individu.
Par ailleurs, le Code de la sécurité routière (CSR) contient certaines dispositions relatives à la conduite d'un véhicule d'urgence. L'article 378 précise que le conducteur d'un véhicule d'urgence doit actionner les feux clignotants ou pivotants, ou les avertisseurs sonores, ou un dispositif de changement des signaux lumineux de circulation visés à l'article 255 dont est muni son véhicule, seulement dans l'exercice de ses fonctions et si les circonstances l'exigent. Il n'est alors pas tenu de respecter certaines dispositions du CSR.
Dans le présent dossier, la conduite des policiers impliqués lors de l'intervention ne constitue pas une conduite dangereuse au sens du droit criminel.
D'abord, l'intervention est légale, puisqu'elle concerne l'interception d'un homme conduisant un véhicule à moteur de manière erratique et dangereuse pour le public.
Ensuite, la vitesse maximale atteinte par les policiers impliqués est certes élevée, mais examinée à l'aune de l'ensemble des circonstances pertinentes, n'atteint pas le seuil requis pour constituer une infraction criminelle.
En effet, l'intervention a lieu de nuit, sur des autoroutes avec une faible densité de circulation, des lampadaires permettant une visibilité adéquate et alors que les conditions météorologiques sont bonnes. De plus, les policiers ont allumé leurs gyrophares et sirènes, ce qui réduit les risques pour la sécurité du public.
Les policiers ont aussi adapté leur conduite tout au long de l'intervention, notamment en réduisant leur vitesse maximale dans la zone de construction. Bien que la vitesse demeure supérieure à la limite dans cette zone, les policiers ont largement réduit leurs vitesses maximales alors que le véhicule en infraction la traverse à haute vitesse.
Dans un tel contexte, l'article 378 CSR permet aux policiers d'excéder la limite de vitesse permise, puisque les risques pour la sécurité du public étaient largement réduits en raison des conditions de la route et des mesures prises par les policiers.
En conséquence, pour toute la séquence de conduite, à l'exception de celle à l'intérieur de la zone de construction, la preuve ne permet pas de conclure qu'il s'agit d'une conduite objectivement dangereuse pour le public.
En ce qui concerne la conduite à l'intérieure de la zone de construction, secteur où le risque est exacerbé par la présence de travailleurs, la conduite à haute vitesse pourrait être considéré comme étant objectivement dangereuse pour le public.
Toutefois, la preuve ne permet pas de conclure que cette conduite constitue un écart marqué par rapport au comportement qu'un autre policier raisonnablement prudent aurait adopté dans les mêmes circonstances.
La faible densité de circulation la nuit sur les autoroutes, le fait que le véhicule fuyard précède les véhicules de patrouille dans cette zone en conduisant à haute vitesse, combiné au fait que les policiers réduisent leur vitesse dans cette zone tout en conservant allumé leurs gyrophares et sirène, correspondent à une conduite qu'aurait pu adopter un policier raisonnablement prudent dans les mêmes circonstances.
Conséquemment, à la suite de son analyse, le DPCP est d'avis que la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction par les policiers de la SQ impliqués dans cet événement.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant de toute considération de nature politique, et ce, de façon à préserver l'intégrité du processus judiciaire tout en assurant la protection de la société, dans la recherche de l'intérêt de la justice et de l'intérêt public, de même que dans le respect de la règle de droit et des intérêts légitimes des personnes victimes et des témoins.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales

Source : Me Annabelle Sheppard, Porte-parole, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085, [email protected]
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