Enquête indépendante sur l'événement survenu à Lac-Mégantic le 21 mars 2022 : motifs pour lesquels aucune accusation n'a été portée
QUÉBEC, le 19 août 2025 /CNW/ - Un verdict ayant été rendu par le tribunal, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) expose les motifs l'ayant mené à conclure, dans son communiqué intérimaire du 22 février 2023, que l'analyse de la preuve ne révélait pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers de la Sûreté du Québec (SQ).
Cette décision faisait suite à l'examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) en lien avec l'événement survenu à Lac-Mégantic le 21 mars 2022 entourant le décès d'un homme.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI avait été confié à un comité composé de deux procureurs aux poursuites criminelles et pénales (procureurs). Ces derniers avaient procédé à un examen complet de la preuve, ainsi que celle présentée devant le tribunal, afin d'évaluer si à la lumière de la preuve retenue, celle‑ci révélait la commission d'infractions criminelles. Un procureur qui avait participé à l'analyse du dossier a rencontré et informé les proches de la personne décédée des motifs de la décision.
Événement
Le 18 mars 2022, à 10 h 56, une agente d'indemnisation d'une compagnie d'assurance communique avec un homme afin de l'aviser que sa demande d'assurance invalidité a été refusée. Lors de la conversation téléphonique, l'homme devient agressif et tient certains propos menaçants. L'agente d'indemnisation met fin à l'échange.
Quelques minutes plus tard, l'homme rappelle aux bureaux de la compagnie d'assurance, en étant toujours aussi agressif. Il mentionne alors aux employés de la compagnie d'assurance qu'il souhaite qu'on révise sa réclamation et que s'il devait retourner au travail « il allait tuer quelqu'un », sans néanmoins préciser si les menaces s'adressaient directement à l'assureur ou plutôt à son employeur.
À 16 h 57, des responsables de la compagnie d'assurance font un appel au poste de police de la SQ se trouvant dans la localité A, afin de relater les propos menaçants qui ont été prononcés plus tôt dans la journée par l'homme.
Un policier du poste de police est assigné à l'appel. Il communique avec l'employée de la compagnie d'assurance qui a parlé directement avec l'homme dans le but de prendre sa version des faits. Lors de leur discussion, l'agente d'indemnisation omet de partager l'ensemble des propos menaçants. Plus particulièrement, elle ne fait pas mention des menaces de mort prononcées lors du deuxième appel. En se basant sur cette information partielle, le policier conclut que les paroles prononcées par l'homme lors de la conversation téléphonique ne peuvent être assimilées à une infraction au Code criminel. Le policier indique à l'agente d'indemnisation qu'elle peut toujours rappeler les autorités si elle a des informations supplémentaires à partager, mais qu'il serait préférable qu'elle contacte le service de police de la ville B, puisque les bureaux de la compagnie d'assurance se trouvent dans leur ressort.
Suivant sa conversation avec le policier de la localité A, l'employée de la compagnie d'assurance réalise qu'elle n'a pas partagé l'ensemble des propos tenus par l'homme. Elle communique à nouveau avec les forces de l'ordre, mais cette fois-ci en s'adressant au service de police de la ville B.
Lors de l'appel, l'employée de la compagnie d'assurance partage la totalité des propos menaçants tenus par l'homme à la préposée de la répartition du service de police de la ville B. La préposée à la répartition indique qu'une patrouille sera dépêchée chez l'employée afin de prendre sa déclaration. L'employée de la compagnie d'assurance mentionne alors qu'elle réside dans la localité C, qui est située à l'extérieur de la juridiction du service de police de la ville B. La localité C se trouve plutôt dans le ressort de la SQ. L'appel est donc transféré au poste de police de la SQ responsable de la localité C.
Un autre policier de la SQ est alors assigné à l'appel. Il communique avec l'agente d'indemnisation afin de prendre connaissance des faits de l'événement. Celle-ci expose l'ensemble des propos menaçants tenus par l'homme, en plus d'expliquer brièvement les démarches qu'elle a déjà effectuées auprès des services de police de la localité A et de la ville B. Suivant cet échange, le policier conclut que les menaces de mort visaient les employés de la compagnie d'assurance de façon générale. Puisque les bureaux de la compagnie d'assurance se trouvent dans la ville B, il indique que c'est bien le service de police de la ville B qui est compétent pour prendre la plainte. Il mentionne qu'il peut ouvrir un dossier à son niveau, mais que cela entraînerait des délais administratifs supplémentaires. Il spécifie qu'il serait plus efficace que l'employée se rende directement aux bureaux de la compagnie d'assurance dans la ville B et qu'elle communique avec les forces de l'ordre à partir de cet endroit. L'employée rétorque que les bureaux seront fermés durant les prochaines journées et qu'elle ne pourra se rendre sur les lieux que le 21 mars suivant, impliquant ainsi un délai de quelques jours. Le policier répond alors qu'il ne s'agit pas d'une période déraisonnable et que l'écoulement de quelques jours n'est pas critique.
Le 21 mars 2022, vers 5 h 30, l'homme ayant tenu des propos menaçants se présente sur les lieux de son travail. Il pénètre dans le bureau de son supérieur et agresse ce dernier avec une arme blanche. La victime décède des suites de ses blessures.
Analyse du DPCP
La preuve au dossier d'enquête ne permet pas de conclure que les policiers impliqués ont fait preuve de négligence criminelle causant la mort.
En matière de négligence criminelle, il est interdit à une personne d'accomplir un geste ou d'omettre de poser un geste que la loi exige qu'il pose, lorsque cela montre une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie ou de la sécurité d'autrui.
La simple négligence dans l'accomplissement d'un acte, ou le fait de ne pas remplir une obligation imposée par la loi, sont toutefois insuffisants pour conclure à la négligence criminelle. La conduite doit représenter « un écart marqué et important par rapport à la conduite d'une personne raisonnablement prudente », en l'occurrence, un policier placé dans la même situation, distinguant ainsi la faute civile de la faute criminelle.
Par ailleurs, la négligence criminelle ne constitue pas une infraction autonome. La négligence, pour être de nature criminelle, doit conduire à la mort ou à des lésions corporelles. De plus, toute forme de contribution à la mort ou aux lésions corporelles n'est pas criminelle. Pour être punissables, les gestes ou les omissions doivent avoir contribué de façon appréciable, c'est-à-dire plus que mineure aux lésions corporelles ou encore au décès d'une autre personne.
Relativement au premier policier, responsable de l'appel effectué au poste de police de la localité A, l'analyse de l'ensemble de la preuve au dossier révèle que l'employée de la compagnie d'assurance lui a transmis des informations incomplètes. Plus précisément, elle a omis de faire état des menaces de mort qui ont été proférées par l'homme lors de la deuxième conversation. À partir de ces informations fragmentaires, le policier a conclu qu'aucune infraction criminelle n'a été commise par l'homme et il a mis fin à l'enquête. Rien n'indique que le policier a agi de façon déraisonnable ou qu'il a fait un usage erroné de son pouvoir discrétionnaire. Au contraire, la preuve démontre qu'il a agi avec célérité et diligence. D'ailleurs, même si le policier a convenu qu'aucune infraction n'a été commise par l'homme, il a tout de même fait des vérifications dans les bases de données policières afin de s'assurer que ce dernier n'était pas impliqué dans d'autres événements ou qu'il n'avait pas en sa possession des armes à feu.
En ce qui concerne l'intervention du deuxième policier, qui s'est occupé de l'appel fait au poste de police de la localité C, nous sommes d'avis que sa conduite n'illustre pas un écart marqué et important par rapport à la personne raisonnablement prudente. Les menaces prononcées par l'homme étaient générales et n'identifiaient pas une personne en particulier. Le destinataire était incertain : il était difficile de dire si les menaces s'adressaient aux employés de la compagnie d'assurance ou à l'employeur de l'homme. Le policier a déduit que les propos menaçants devaient vraisemblablement être dirigés envers l'assurance, puisque l'homme venait de se faire refuser sa réclamation d'assurance invalidité. Dans ces circonstances, le policier a jugé qu'il n'était pas fatal d'attendre quelques jours avant qu'on procède à la prise de déclaration de l'employée de la compagnie d'assurance, d'autant plus que les bureaux de la société étaient fermés dans l'intervalle. De surcroit, il n'est pas possible d'établir que la conduite du policier a contribué de façon appréciable au décès de la victime. Même si la déclaration avait été prise dans les meilleurs délais et qu'on était intervenu rapidement auprès de l'homme, il est difficile, au mieux hasardeux, de conclure que cette action aurait prévenu l'homicide de la victime.
Conséquemment, à la suite de son analyse, le DPCP est d'avis que la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers de la SQ impliqués dans cet événement.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant de toute considération de nature politique, et ce, de façon à préserver l'intégrité du processus judiciaire tout en assurant la protection de la société, dans la recherche de l'intérêt de la justice et de l'intérêt public, de même que dans le respect de la règle de droit et des intérêts légitimes des personnes victimes et des témoins.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales

Source : Me Patricia Johnson, Porte-parole adjointe, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085, [email protected]
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