Enquête indépendante sur l'événement survenu à Campbell's Bay le 1er mars 2024 : le DPCP ne portera pas d'accusation
QUÉBEC, le 9 juill. 2025 /CNW/ - Après examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conclut que l'analyse de la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers de la Sûreté du Québec (SQ).
L'analyse portait sur l'événement survenu à Campbell's Bay le 1er mars 2024 à la suite duquel le décès d'une femme a été constaté le 4 mars 2024.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI a été confié à une procureure aux poursuites criminelles et pénales (procureure). Cette dernière a procédé à un examen complet de la preuve afin d'évaluer si à la lumière de la preuve retenue, celle-ci révèle la commission d'infractions criminelles. La procureure a rencontré et informé les proches de la personne décédée des motifs de la décision.
Événement
Le 1er mars 2024, une perquisition est effectuée à la résidence d'une femme. Cette dernière est mise en état d'arrestation et transportée au poste de police. La femme est placée dans une salle d'interrogatoire. Elle exerce son droit à l'avocat et un agent lui fait la lecture de ses droits. Durant les interventions de l'agent, la collaboration de la femme varie.
Vers 9 h 33, la femme demande à l'agent d'avoir accès à ses médicaments qui se trouvent à son domicile. L'information est relayée aux agents sur les lieux de la perquisition. Pendant ce temps, la femme demeure seule dans la salle d'interrogatoire. Les images captées permettent de constater que la femme est par moment chancelante et en perte d'équilibre.
Vers 10 h 28, un agent entre dans la salle et lui remet ses médicaments. La femme prend sa médication et place quelques comprimés dans ses poches. Quelques minutes plus tard, l'agent revient dans la salle et demande à la femme de lui donner les comprimés qui se trouvent dans ses poches. L'agent quitte la salle avec les contenants de médicaments.
Entre 10 h 37 et 11 h 15, la femme est seule dans la salle. Par moment, elle est agitée, crie et frappe sur la table. Vers 11 h 08, la femme semble faire des convulsions et tombe au sol; elle respire fort.
Le dossier ne comporte aucune preuve relative à l'emplacement ou aux fonctions exercées par les agents impliqués lors de cette période1. À 11 h 15, l'agent revient dans la salle et constate que la femme est au sol. Un second agent vient lui porter assistance. Ils l'assoient sur une chaise et notent un état de conscience minimal. Toutefois, elle ne répond pas aux questions des agents. Les ambulanciers sont appelés. Les agents placent des couvertures au sol afin de coucher la femme. Ils la tournent sur le côté et la surveillent en attendant l'arrivée des ambulanciers. Les ambulanciers arrivent et la femme convulse de nouveau. Ces derniers prennent en charge les soins de la femme et la transportent vers un centre hospitalier. Le décès neurologique de la femme est constaté le 4 mars 2024. L'autopsie révèle que la femme serait décédée des suites d'une polyintoxication aux drogues d'abus.
Analyse du DPCP
Le paragraphe 215(1) C.cr. crée des obligations destinées à la protection des individus vulnérables qui sont sous les soins, le contrôle ou la garde d'autrui. Plus précisément, l'alinéa 215(1)(c) C.cr. impose aux policiers de protéger les personnes qui sont sous leur garde en leur fournissant les « choses nécessaires à l'existence ».
Commet une infraction quiconque étant soumis à une obligation légale au sens du paragraphe 215(1)(c) C.cr., omet, sans excuse légitime, d'accomplir cette obligation, et si l'omission d'exécuter l'obligation met en danger la vie de la personne ou est de nature à causer un tort permanent à la santé de celle-ci.
La jurisprudence a défini l'expression comme signifiant les choses nécessaires pour protéger la santé et la sécurité des personnes contre le préjudice ou le risque de préjudice, lequel doit être raisonnablement prévisible et de nature plus que mineur ou transitoire. À titre d'exemple, les soins médicaux qui sont nécessaires pour protéger la santé ou la sécurité d'une personne détenue (arrestation, transport, cellule) contre un préjudice ou un risque de préjudice.
Ainsi, la preuve de cette infraction dans un contexte de détention policière requiert que la poursuite démontre hors de tout doute raisonnable chacun des éléments suivants :
- Le policier était soumis à l'obligation légale de fournir les choses nécessaires à l'existence de la personne pendant qu'elle était sous sa garde;
- Le policier n'a pas fourni les choses nécessaires à l'existence;
- Le manquement à l'obligation de fournir les choses nécessaires à l'existence a mis en danger la vie de la personne ou est de nature à causer un tort permanent à la santé de cette personne;
- La conduite du policier a représenté un écart marqué par rapport au comportement d'un policier raisonnable dans des circonstances où il était objectivement prévisible que le fait de ne pas fournir de soins médicaux à la personne mettait sa vie en danger ou était de nature à causer un tort permanent à la santé de cette personne.
Le caractère raisonnable de la conduite de l'accusé s'apprécie en fonction de sa situation, des circonstances particulières et selon une norme objective, c'est-à-dire une norme de la société.
La preuve révèle que l'intervention s'est déroulée sur plusieurs heures. Pendant toute cette période, l'agent demeure respectueux envers la femme. Cette dernière demeure dans la salle d'interrogatoire à l'exception du moment où elle exerce son droit à l'avocat. L'état de la femme varie au courant de l'avant-midi. Par moment, elle est calme et répond aux questions de l'agent, puis elle refuse de répondre et l'ignore. Les images captées par la caméra de surveillance permettent de constater qu'il est difficile d'évaluer l'état de la femme. Son état se détériore lorsqu'elle se trouve seule. Ce n'est seulement qu'à son retour dans la salle d'interrogatoire que l'agent prend conscience de son état de santé précaire. À ce moment, il lui porte secours et contacte les services d'urgence.
La preuve disponible ne permet pas de conclure en un écart marqué par rapport au comportement d'un policier raisonnable placé dans les mêmes circonstances ni de conclure qu'ils ont omis de fournir les choses nécessaires à l'existence d'une personne à leur charge.
Conséquemment, à la suite de son analyse, le DPCP est d'avis que la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers de la SQ impliqués dans cet événement.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant de toute considération de nature politique, et ce, de façon à préserver l'intégrité du processus judiciaire tout en assurant la protection de la société, dans la recherche de l'intérêt de la justice et de l'intérêt public, de même que dans le respect de la règle de droit et des intérêts légitimes des personnes victimes et des témoins.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
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1 Depuis la décision de la Cour d'appel le 30 avril 2024 (PGQ c. Fédération des policiers et policières municipaux du Québec et al.), les policiers impliqués n'ont plus l'obligation de rédiger un compte rendu sur les faits survenus lors de l'événement à l'intention du BEI devant ensuite être transmis par le corps de police au BEI en vertu du Règlement sur les enquêtes indépendantes. Ainsi, dans ce dossier, ayant déjà obtenu les comptes rendus des policiers impliqués, le BEI a retiré ceux-ci du dossier, celui-ci ayant été soumis au DPCP après le 30 avril 2024.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales

Source : Me Patricia Johnson, Porte-parole adjointe, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085, [email protected]
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