Enquête indépendante sur l'événement survenu à Sherbrooke le 27 août 2024 : le DPCP ne portera pas d'accusation
QUÉBEC, le 17 juin 2025 /CNW/ - Après examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conclut que l'analyse de la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers du Service de police de Sherbrooke (SPS).
L'analyse portait sur l'événement survenu à Sherbrooke le 27 août 2024 entourant le décès d'un homme.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI a été confié à une procureure aux poursuites criminelles et pénales (procureure). Cette dernière a procédé à un examen complet de la preuve afin d'évaluer si à la lumière de la preuve retenue, celle-ci révèle la commission d'infractions criminelles. La procureure a rencontré et informé les proches de la personne décédée des motifs de la décision.
Événement
Le 27 août 2024, à 17 h 21, un homme appelle au 911, à plusieurs reprises, pour se plaindre du bruit en provenance de l'appartement de son voisin et indique qu'il est inquiet pour l'homme y résidant.
À 17 h 52, un premier policier arrive sur les lieux. De l'extérieur, il entend un homme crier des propos incohérents. Le voisin ayant contacté le 911 mentionne au policier que l'homme est connu pour sa consommation de stupéfiants.
Le policier contacte son supérieur pour l'informer de la situation. Ce dernier lui demande de ne pas intervenir et d'attendre des renforts.
Vers 18 h 03, deux policières arrivent sur les lieux accompagnées d'une travailleuse sociale du CIUSSS. Cette dernière agit en soutien aux policiers dans le cadre d'intervention pour une personne présentant un état de détresse. Les policières tentent d'entrer en contact avec l'homme à travers la porte de son appartement, sans succès. Elles constatent l'état agité de l'homme, en raison des cris et des coups entendus. Elles demandent l'assistance d'un policier supplémentaire, d'une ambulance et du responsable de l'immeuble pour obtenir les clés de l'appartement.
À 18 h 13, deux ambulanciers arrivent sur les lieux ainsi qu'un quatrième policier et le responsable de l'immeuble. À ce moment, le supérieur, avisé de la situation, demande aux agents présents d'attendre l'arrivée de renforts, soit des policiers opérateurs d'arme à impulsion électrique (AIE), puisqu'aucun agent présent sur les lieux ne l'est.
Vers 18 h 44, le supérieur et un policer supplémentaire, qui sont opérateurs AIE, arrivent sur les lieux. Avec les autres policiers présents, ils planifient l'intervention auprès de l'homme.
Vers 18 h 53, les policiers entrent dans l'appartement qui est exigu et encombré. Le premier entre avec du poivre de Cayenne, le second avec un bouclier, le troisième avec l'AIE et ensuite deux autres policiers.
Les policiers voient l'homme dans la cuisine, torse nu, en sudation extrême, qui ne contrôle plus les mouvements de son corps. Pendant plusieurs minutes, ils tentent de communiquer avec l'homme et de le faire collaborer en lui demandant de se coucher sur le ventre, sans succès. L'homme ne semble pas en mesure de comprendre les ordres donnés par les policiers. Il continue de crier, grogner et donner des coups dans le vide et sur les objets l'entourant.
Entre 18 h 56 et 19 h 30, le policier muni de l'AIE fait deux démonstrations d'utilisation pour inciter l'homme à collaborer, sans résultat. Il déploie alors à deux reprises l'AIE, mais en raison des mouvements incontrôlés de l'homme, une sonde se décolle et l'utilisation est inefficace.
Par la suite, les policiers font une demande d'assistance pour des paramédicaux en soins avancés afin d'administrer un tranquillisant à l'homme.
Vers 19 h 54, les paramédicaux en soins avancés arrivent sur les lieux. À ce moment, l'homme se couche sur le ventre de sa propre initiative et quatre des policiers présents le maîtrisent. À 19 h 55, après avoir obtenu l'autorisation d'un médecin, l'un des paramédicaux en soins avancés procède à une injection de midazolam dans la cuisse droite de l'homme. Or, en raison des mouvements de ce dernier, la seringue plie à 90 degrés et il est impossible de déterminer la quantité exacte injectée.
L'homme continue de se débattre et demeure agité. À 20 h, un appel est fait au médecin pour obtenir l'autorisation d'injecter une seconde dose. Ce qui est fait à la suite de l'obtention de l'autorisation. L'homme semble se calmer et il est placé en position latérale de sécurité et menottée à l'avant.
Vers 20 h 02, l'un des policiers mentionne que l'homme ne semble plus respirer. Son pouls est pris et une auscultation est effectuée par l'un des paramédicaux, qui constate un arrêt cardiorespiratoire. L'homme est démenotté et placé sur le dos pour les manœuvres de réanimation. Celles-ci sont effectuées en alternance par les intervenants présents. À 20 h 16, elles sont poursuivies par les premiers répondants (pompiers) appelés en assistance.
À 20 h 27, l'homme est transporté vers un centre hospitalier. Arrivé à 20 h 42, il est pris en charge par le personnel médical et transporté en salle de réanimation. Son décès est constaté à 21 h 09.
Analyse du DPCP
L'intervention était légale. L'article 48 de la Loi sur la police prévoit que les policiers ont pour mission de maintenir la paix, l'ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime.
En l'espèce, les informations transmises lors de l'appel au 911 et les constatations des premiers intervenants arrivés sur les lieux font état d'un homme qui semble en délire agité (cris, coups, grognements, etc.) à l'intérieur de son appartement et pour lequel il existe des motifs de croire à une consommation de stupéfiants. Les policiers pouvaient donc considérer que l'état de l'homme représentait un risque pour sa sécurité et sa santé.
Dans la présente affaire, le DPCP est d'avis que les conditions énumérées au paragraphe 25(1) du Code criminel sont remplies.
Cette disposition accorde une protection à l'agent de la paix employant la force dans le cadre de l'application ou l'exécution de la loi, pourvu qu'il agisse sur la foi de motifs raisonnables et qu'il utilise seulement la force nécessaire dans les circonstances.
Il peut s'agir, notamment, d'une arrestation légale, ou encore de manœuvres visant à désarmer une personne ou à maîtriser une personne en crise, en raison du risque qu'elle représente pour elle-même ou pour autrui.
Les policiers, étant agents de la paix, sont donc autorisés à employer une force qui, dans les circonstances, est raisonnable et nécessaire pour exercer leurs fonctions et qui n'est pas excessive.
Les tribunaux ont établi que l'appréciation de la force ne devait toutefois pas être fondée sur une norme de perfection.
En effet, les policiers sont souvent placés dans des situations où ils doivent rapidement prendre des décisions difficiles. Dans ce contexte, on ne peut exiger qu'ils mesurent le degré de force appliquée avec précision.
Au regard de la preuve au dossier, il appert que le décès de l'homme n'est pas une conséquence de l'usage de la force par les policiers, mais plutôt causée par une polyintoxication aux drogues d'abus, tel que l'a décrit le pathologiste dans son rapport.
En outre, la force utilisée par les policiers respectait les critères justifiant d'y avoir recours, prévus au paragraphe 25(1) du Code criminel. Elle était justifiée, nécessaire, et le degré de force, raisonnable dans les circonstances.
Les policiers avaient des motifs raisonnables et probables de croire que l'homme représentait un risque pour lui-même, considérant son état et les informations laissant présumer une consommation excessive de stupéfiants. Les policiers devaient donc le maîtriser afin d'assurer sa sécurité.
La preuve révèle qu'avant d'avoir recours à la force, les policiers ont tenté de dialoguer pendant de longues minutes avec l'homme. Devant l'absence de réaction et de collaboration de ce dernier, l'un des policiers a fait deux démonstrations de l'AIE afin d'inciter l'homme à collaborer. Devant un nouvel échec, le policier a utilisé l'AIE à deux reprises, mais les sondes se sont détachées en raison des mouvements de l'homme.
À la suite de l'inefficacité des méthodes d'intervention, les policiers ont fait appel aux paramédicaux en soins avancés afin de tranquilliser l'homme par une injection de midazolam, et ce, afin d'éviter de le blesser. Pour ce faire, il était nécessaire de parvenir à maîtriser l'homme, ce qui a été fait lorsque ce dernier s'est couché, de sa propre initiative, au sol.
Quatre policiers ont alors maîtrisé l'homme et l'un des policiers a utilisé un bouclier pour maintenir le haut du corps de l'homme au sol. Cet usage de la force était raisonnable et nécessaire dans les circonstances, puisque l'homme ne contrôlait pas ses mouvements et qu'il devait être maintenu immobile pour procéder à l'injection.
La gradation dans l'utilisation de la force, la recherche de solution alternative à celle-ci, le fait que les policiers ont longuement dialogués avec l'homme et ont fait usage de la force seulement dans la mesure nécessaire pour lui porter assistance, permet de conclure que le paragraphe 25(1) du Code criminel s'applique.
Conséquemment, le DPCP est d'avis que l'emploi de la force par les policiers impliqués était justifié en vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel. L'analyse de la preuve ne révèle pas à son avis la commission d'une infraction criminelle par les policiers du SPS impliqués dans cet événement.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant de toute considération de nature politique, et ce, de façon à préserver l'intégrité du processus judiciaire tout en assurant la protection de la société, dans la recherche de l'intérêt de la justice et de l'intérêt public, de même que dans le respect de la règle de droit et des intérêts légitimes des personnes victimes et des témoins.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales

Source : Me Patricia Johnson, Porte-parole adjointe, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085, [email protected]
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