Enquête indépendante sur l'événement survenu à Lac-des-Écorces le 3 août 2021 : motifs pour lesquels aucune accusation n'a été portée
QUÉBEC, le 11 juin 2025 /CNW/ - Les procédures judiciaires étant terminées, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) expose les motifs l'ayant mené à conclure, dans son communiqué intérimaire du 11 février 2022, que l'analyse de la preuve ne révélait pas la commission d'une infraction criminelle par le policier de la Sûreté du Québec (SQ).
Cette décision faisait suite à l'examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) en lien avec l'événement entourant les blessures subies par un homme à Lac-des-Écorces le 3 août 2021.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI avait été confié à un procureur aux poursuites criminelles et pénales (procureur). Ce dernier a procédé à un examen complet de la preuve afin d'évaluer si à la lumière de la preuve retenue, celle‑ci révélait la commission d'infractions criminelles. Le procureur a informé la personne blessée de la décision.
Événement
Le 3 août 2021, à 14 h 04, une citoyenne communique avec le 911 afin de rapporter la présence d'un véhicule abandonné dans un sentier forestier entre les municipalités de Lac-des-Écorces et de Lac-Saguay.
Un policier de la SQ arrive à l'entrée du sentier forestier à 14 h 25. Il s'engage initialement dans le sentier en véhicule de patrouille, mais doit rapidement poursuivre à pied puisque le terrain est trop accidenté. Après avoir parcouru plusieurs centaines de mètres, il aperçoit l'automobile abandonnée, recouverte d'une bâche et de branches.
Le policier s'approche de la voiture et pousse le feuillage afin de voir à l'intérieur de l'habitacle. Il constate alors qu'un homme est assis sur la banquette arrière du véhicule. Ce dernier présente plusieurs signes de détresse : il est maigre, blême, son regard est fixe et il ne cligne pas des yeux.
Craignant que l'homme tente de mettre fin à ses jours par l'inhalation de monoxyde de carbone, le policier ouvre la portière passagère arrière. Immédiatement, l'homme devient agité et cache ses deux mains derrière son dos. Le policier ordonne à l'homme d'exhiber le contenu de ses mains, et ce, à plusieurs reprises. L'homme montre sa main gauche, mais refuse de manière persistante d'exhiber son bras droit. Le policier décide alors de dégainer son arme de service.
Voyant que la situation semble se compliquer, le policer décide de s'écarter légèrement du véhicule pour aller noter le numéro d'immatriculation du véhicule. Il communique également avec la centrale pour obtenir des renforts. L'homme profite de ce bref intervalle pour sortir du véhicule, toujours avec la main droite cachée derrière son dos.
Une fois sorti du véhicule, l'homme commence à se diriger en direction du policier. L'agent de la paix, pour sa part, recule afin de créer une distance entre lui et l'homme, tout en réitérant de lui montrer ses mains. L'homme et le policier commencent à tourner autour du véhicule.
Pour tenter d'obtenir la collaboration de l'homme, le policier l'asperge de poivre de Cayenne en l'atteignant directement au visage. La réaction de ce dernier est minime : il se contente d'essuyer son visage. Il crie alors, à quatre reprises, qu'il va tirer le policier.
Immédiatement après, l'homme sort brusquement sa main droite de son dos. Il y tient un objet noir ayant des dimensions et une forme similaires à une arme à feu. Il pointe cet objet en direction du policier. En réaction, le policier tire six coups de feu en direction de l'homme, en visant le centre masse.
L'homme est atteint à la jambe et il s'effondre au sol. Il est toujours conscient et il est rapidement maîtrisé par l'agent de la paix. L'homme indique alors au policier qu'il avait pour objectif de mettre fin à ses jours. Il est à noter qu'à l'initiative du policier, un enregistrement audio de l'intervention est effectué, et ce, dès le contact initial avec l'homme.
Les ambulanciers arrivent peu de temps après et l'homme est transporté d'urgence à l'hôpital où il recevra les soins requis.
Analyse du DPCP
Dans la présente affaire, le DPCP est d'avis que les conditions énumérées aux articles 25(1) et 25(3) du Code criminel sont remplies.
L'article 25(1) accorde une protection à l'agent de la paix employant la force dans le cadre de l'application ou l'exécution de la loi, pourvu qu'il agisse sur la foi de motifs raisonnables et qu'il utilise seulement la force nécessaire dans les circonstances.
Il peut s'agir, notamment, d'une arrestation légale, ou encore de manœuvres visant à désarmer une personne ou à maîtriser une personne en crise, en raison du risque qu'elle représente pour elle-même ou pour autrui.
L'article 25(3) précise qu'un policier peut, s'il agit sur la foi de motifs raisonnables, utiliser une force susceptible de causer la mort ou des lésions corporelles graves s'il croit que cela est nécessaire afin de se protéger ou encore de protéger les personnes sous sa protection contre de telles conséquences.
Les policiers, étant agents de la paix, sont donc autorisés à employer une force qui, dans les circonstances, est raisonnable et nécessaire pour exercer leurs fonctions et qui n'est pas excessive.
Les tribunaux ont établi que l'appréciation de la force ne devait toutefois pas être fondée sur une norme de perfection.
En effet, les policiers sont souvent placés dans des situations où ils doivent rapidement prendre des décisions difficiles. Dans ce contexte, on ne peut exiger qu'ils mesurent le degré de force appliquée avec précision.
Dans ce dossier, l'intervention était légale et se fondait principalement sur le devoir imposé aux policiers d'assurer la sécurité et la vie des personnes. Plusieurs indices laissaient croire que l'homme qui se trouvait dans le véhicule avait besoin d'une assistance immédiate. En plus des caractéristiques physiques préoccupantes que présentait l'homme, la voiture se trouvait dans un endroit extrêmement isolé, à plusieurs kilomètres de toute forme de civilisation.
Avant d'utiliser son arme de service, le policier a ordonné à maintes reprises à l'homme d'exhiber ses mains, mais il s'est frappé à un refus persistant. L'agent de la paix a utilisé une arme intermédiaire, sa bombonne de poivre de Cayenne, mais cela n'a produit aucun effet notoire. Juste avant que le policier ne fasse feu, l'homme a crié à plusieurs reprises qu'il allait « tirer le policier » et il a pointé dans sa direction un objet noir similaire à une arme de poing.
Dans ces circonstances, le policier avait des motifs raisonnables d'estimer que la force appliquée à l'endroit de l'homme était nécessaire pour sa protection contre des lésions corporelles graves ou la mort.
Conséquemment, le DPCP est d'avis que l'emploi de la force par le policier paix était justifié en vertu des articles 25(1) et 25(3) du Code criminel. L'analyse de la preuve ne révèle pas à son avis la commission d'une infraction criminelle par le policier de la SQ impliqué dans cet événement.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant de toute considération de nature politique, et ce, de façon à préserver l'intégrité du processus judiciaire tout en assurant la protection de la société, dans la recherche de l'intérêt de la justice et de l'intérêt public, de même que dans le respect de la règle de droit et des intérêts légitimes des personnes victimes et des témoins.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales

Source : Me Patricia Johnson, Porte-parole adjointe, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085, [email protected]
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