Enquête indépendante sur l'événement survenu à Saint-Bruno le 28 octobre 2023 : motifs pour lesquels aucune accusation n'a été portée
QUÉBEC, le 19 sept. 2025 /CNW/ - Un verdict ayant été rendu par le tribunal, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) expose les motifs l'ayant mené à conclure, dans son communiqué intérimaire du 13 septembre 2024, que l'analyse de la preuve ne révélait pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers de la Sûreté du Québec (SQ).
Cette décision faisait suite à l'examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) en lien avec l'événement survenu à Saint-Bruno le 28 octobre 2023.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI avait été confié à une procureure aux poursuites criminelles et pénales (procureure). Cette dernière avait procédé à un examen complet de la preuve afin d'évaluer si à la lumière de la preuve retenue, celle‑ci révélait la commission d'infractions criminelles. La procureure a informé les trois personnes blessées de la décision.
Événement
Dans la nuit du 27 au 28 octobre 2023 vers minuit, deux appels sont faits au 911 par des automobilistes. Les appelants relatent que le conducteur d'un véhicule conduit dangereusement. Ils notent en partie le numéro de la plaque d'immatriculation. Le véhicule roulerait à une très grande vitesse dans une zone de 90 km/h. Également, il est rapporté que le véhicule fait des manœuvres brusques d'accélération et de ralentissement devant les automobilistes, qu'il louvoie en se retrouvant par moment sur la bande rugueuse de la route et qu'il se dirigerait vers Saint-Bruno.
Vers 1 h, des policiers de la SQ qui patrouillent à proximité se dirigent vers le secteur de Saint-Bruno à bord d'un véhicule de patrouille. Simultanément, les policiers entendent sur les ondes un autre policier patrouilleur, se trouvant dans une demeure où se déroule une soirée, mentionner qu'un homme aurait quitté la soirée en état d'ébriété et conduirait un véhicule de même marque que le véhicule fautif rapporté par les deux appels au 911. Au même moment, les policiers localisent un véhicule stationné correspondant à la description donnée. Le véhicule de patrouille s'immobilise derrière le véhicule. Les policiers allument les gyrophares et le véhicule part rapidement en direction d'Alma.
Les policiers poursuivent le véhicule sur le rang Saint-Alphonse ayant comme limite de vitesse 70 km/h. Le véhicule de patrouille atteint une vitesse d'environ 135 km/h, mais n'arrive pas à rattraper le véhicule. Les policiers estiment que le véhicule fautif roule à une vitesse de 160 km/h. Environ deux minutes après le début de la poursuite, les policiers aperçoivent une courbe et ralentissent. Au même moment, ils voient le véhicule déraper vers la droite et percuter le fossé. Il fait deux tonneaux et termine sa course sur le toit.
Dans les instants qui suivent, les policiers s'immobilisent, signalent l'événement et demandent de l'assistance sur les ondes radio. Ils portent secours au conducteur éjecté du véhicule ainsi qu'aux deux passagers. Après avoir pris contact avec le conducteur qui était conscient, un des policiers le met en état d'arrestation pour conduite avec les facultés affaiblies et pour avoir omis de s'arrêter.
Les ambulanciers arrivent rapidement sur les lieux. Le conducteur et les passagers du véhicule sont transportés à l'hôpital. Les passagers ont subi des blessures mineures et ont été rapidement libérés. Le conducteur, âgé de dix‑sept ans et blessé plus gravement, est transféré vers un centre hospitalier afin de subir une opération. Il obtient son congé cinq jours plus tard.
Analyse du DPCP
L'infraction de conduite dangereuse, décrite à l'article 320.13 du Code criminel, se définit comme le fait de conduire un véhicule à moteur d'une façon dangereuse pour le public, en tenant compte des circonstances, incluant l'utilisation qui en est faite, la nature et l'état du lieu ainsi que l'intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu. Le test applicable en matière de conduite dangereuse a été établi par la Cour suprême et prévoit que la preuve doit démontrer que la façon de conduire était objectivement dangereuse pour le public. À cet égard, c'est le risque de dommage ou de préjudice créé par la conduite qui doit être évalué, indépendamment des conséquences d'une collision ou d'un accident survenu à l'occasion de la conduite du véhicule.
La preuve doit également établir que la conduite objectivement dangereuse adoptée par le conducteur constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur raisonnable dans les mêmes circonstances, en l'occurrence, un policier. Le critère de l'écart marqué souligne le haut degré de négligence nécessaire pour engager la responsabilité criminelle. Ainsi, une imprudence, une simple négligence ou une erreur de jugement sont insuffisantes pour engager la responsabilité criminelle d'un individu.
L'accusation de conduite dangereuse causant des lésions corporelles exige la preuve d'un lien de causalité entre la conduite du véhicule et de telles conséquences. À cet égard, la norme juridique applicable est que la conduite doit avoir contribué de manière appréciable aux lésions corporelles ou à la mort.
Par ailleurs, le Code de la sécurité routière (CSR) contient certaines dispositions relatives à la conduite d'un véhicule d'urgence. L'article 378 CSR précise notamment que le conducteur d'un véhicule d'urgence peut excéder la vitesse indiquée par une signalisation (article 328 b) 5º CSR) si le conducteur du véhicule actionne ses gyrophares et s'il s'assure que le non-respect de la limite de vitesse peut se faire sans danger.
En l'espèce, la preuve démontre que les policiers ont suivi le véhicule pour des motifs valables, soit pour l'intercepter pour conduite dangereuse et pour conduite avec les facultés affaiblies. Également, la preuve démontre que la conduite des policiers n'était pas dangereuse pour le public, considérant notamment que les gyrophares étaient en fonction, que les conditions routières étaient bonnes et qu'il n'y avait aucune circulation sur le rang Saint-Alphonse au moment de la poursuite. La preuve démontre plutôt que les principaux facteurs contributifs à l'accident sont la vitesse élevée du véhicule fautif estimée à plus de 120 km/h par le reconstitutionniste, qui est au-delà de la limite permise de 70 km/h, la légère courbe et la dénivellation vers le bas de la route. Les capacités affaiblies du conducteur au moment de la perte de contrôle du véhicule sont aussi un facteur dont il faut tenir compte.
Conséquemment, à la suite de son analyse, le DPCP est donc d'avis que la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers de la SQ impliqués dans cet événement.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant de toute considération de nature politique, et ce, de façon à préserver l'intégrité du processus judiciaire tout en assurant la protection de la société, dans la recherche de l'intérêt de la justice et de l'intérêt public, de même que dans le respect de la règle de droit et des intérêts légitimes des personnes victimes et des témoins.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales

Source : Me Patricia Johnson, Porte-parole adjointe, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085, [email protected]
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