Enquête indépendante sur l'événement survenu à Orford le 22 octobre 2023 : motifs pour lesquels aucune accusation n'a été portée
QUÉBEC, le 24 nov. 2025 /CNW/ - Un verdict ayant été rendu par le tribunal, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) expose les motifs l'ayant mené à conclure, dans son communiqué intérimaire du 16 septembre 2024, que l'analyse de la preuve ne révélait pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers de la Régie de police de Memphrémagog (RPM).
Cette décision faisait suite à l'examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) en lien avec l'événement entourant les blessures subies par une femme à Orford le 22 octobre 2023.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI avait été confié à un procureur aux poursuites criminelles et pénales (procureur). Ce dernier avait procédé à un examen complet de la preuve, ainsi que celle présentée devant le tribunal, afin d'évaluer si à la lumière de la preuve retenue, celle‑ci révélait la commission d'infractions criminelles. Le procureur a informé la personne blessée de la décision.
Événement
Le 21 octobre 2023, vers 23 h 58, un appel est fait au 911 pour une plainte de bruit relativement à une personne en crise à l'extérieur de chez elle.
Vers 0 h 10, un duo de policiers se présente sur les lieux. L'un d'eux connait la femme qui y réside, étant intervenu auprès d'elle dans des circonstances similaires environ deux semaines auparavant.
À leur arrivée, l'un des policiers aperçoit la femme derrière la maison en train de fumer. La visibilité de ces derniers est limitée en raison d'un faible éclairage et de la disposition de l'environnement immédiat. Un abri temporaire de type gazebo installé au bas des marches menant au balcon leur obstrue la vue.
Lorsque la femme aperçoit les policiers, elle retourne rapidement à l'intérieur de chez elle. Un policier la suit en l'interpellant en vain. La femme ressort presque immédiatement en tenant bien fermement dans ses mains un bâton d'arpentage avec une pointe métallique. Elle le braque en direction des policiers et les exhorte à quitter son domicile en criant.
Un des deux policiers, qui se trouve alors sur le balcon, réalise qu'il y a un risque de danger immédiat pour sa sécurité. Il fait demi-tour et se précipite en bas du balcon.
Considérant que la femme est armée, les policiers demandent qu'une ambulance soit positionnée en retrait.
La femme s'avance alors vers les policiers. Elle n'obtempère pas aux ordres répétés des policiers de lâcher le bâton d'arpentage toujours pointé en leur direction.
L'un des policiers sort son arme à impulsion électrique (AIE), l'active immédiatement et vise la femme. Quant à l'autre, il dégaine son arme de service. Les pointeurs de l'AIE sont un peu plus haut qu'à l'habitude puisque la femme tient toujours le bâton d'arpentage au niveau de son abdomen.
La femme s'élance vers les policiers en se penchant et en levant le bout pointu de son bâton vers eux. Celui qui tient l'AIE recule, mais se retrouve coincé par un véhicule sur place. Alors qu'il évalue la distance qui les sépare à environ 10 pieds, il procède à un premier déploiement d'une cartouche de l'AIE, mais il n'obtient aucune neutralisation neuromusculaire.
Bien que la femme soit atteinte, elle n'écoute pas l'ordre répété du policier de déposer le bâton qu'elle pointe toujours dans sa direction. Quelques secondes plus tard, une seconde cartouche de l'AIE est déployée. Cette fois-ci une décharge électrique est produite et la femme tombe au sol.
Les policiers s'approchent de cette dernière et lui retirent le bâton d'arpentage qu'elle tient toujours. Ils la maîtrisent, sans toutefois la menotter, le temps qu'elle retrouve un état plus calme. La femme est placée dans une position sécuritaire.
Au même moment, vers 0 h 12, les policiers demandent l'assistance de l'ambulance et d'autres agents. Ils constatent que l'une des sondes de l'AIE se trouve dans l'œil droit de la femme.
À 0 h 32, cette dernière est prise en charge par les ambulanciers qui la transportent à un centre hospitalier pour y traiter ses blessures.
Analyse du DPCP
Dans la présente affaire, le DPCP est d'avis que les conditions énumérées au paragraphe 25(3) du Code criminel sont remplies.
Le paragraphe 25(3) précise qu'un policier peut, s'il agit sur la foi de motifs raisonnables, utiliser une force susceptible de causer la mort ou des lésions corporelles graves s'il croit que cela est nécessaire afin de se protéger ou encore de protéger les personnes sous sa protection contre de telles conséquences.
Les policiers, étant agents de la paix, sont donc autorisés à employer une force qui, dans les circonstances, est raisonnable et nécessaire pour exercer leurs fonctions et qui n'est pas excessive.
Les tribunaux ont établi que l'appréciation de la force ne devait toutefois pas être fondée sur une norme de perfection.
En effet, les policiers sont souvent placés dans des situations où ils doivent rapidement prendre des décisions difficiles. Dans ce contexte, on ne peut exiger qu'ils mesurent le degré de force appliquée avec précision.
Dans ce dossier, les policiers sont intervenus légalement afin de répondre à une plainte pour bruit, mais aussi selon leur devoir d'assurer la sécurité et la vie des personnes qui leur permet, en certaines circonstances, de pénétrer dans un endroit privé pour vérifier l'état d'une personne. L'intervention policière a évolué rapidement et s'avérait très instable. En quelques instants, la femme a décidé de saisir un bâton d'arpentage muni d'une pointe métallique et de confronter les policiers. Elle a ignoré les ordres répétés des policiers de lâcher le bâton. Elle s'est élancée vers eux en pointant le bâton dans leur direction. L'environnement immédiat était exigu. Considérant le danger imminent auquel ils faisaient face, l'arme utilisée par la femme et son défaut d'obtempérer à de nombreuses reprises, les policiers avaient des motifs raisonnables d'estimer que l'emploi de la force à l'endroit de la femme était nécessaire pour leur protection contre des lésions corporelles graves ou la mort. L'utilisation de l'AIE était une réponse adéquate et proportionnelle à la menace.
L'intervention policière s'est déroulée en moins de deux minutes environ. Les policiers ont réagi promptement à une situation qui évoluait très rapidement afin de se protéger.
Conséquemment, le DPCP est d'avis que l'emploi de la force par les policiers était justifié en vertu du paragraphe 25(3) du Code criminel. L'analyse de la preuve ne révèle pas à son avis la commission d'une infraction criminelle par les policiers du RPM impliqués dans cet événement.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant de toute considération de nature politique, et ce, de façon à préserver l'intégrité du processus judiciaire tout en assurant la protection de la société, dans la recherche de l'intérêt de la justice et de l'intérêt public, de même que dans le respect de la règle de droit et des intérêts légitimes des personnes victimes et des témoins.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales

Source : Me Patricia Johnson, Porte-parole adjointe, Directeur des poursuites criminelles et pénales, 418 643-4085, [email protected]
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